Les difficultés langagières orales ne discriminent pas : Une fois bien installées, elles influencent la réussite dans toutes les matières
Posted on lundi 18 septembre 2017 by Michèle Minor-Corriveau
Les liens entre le langage oral et le langage écrit ont été documentés(1). En fait, 40 à 75 % des élèves ayant des difficultés langagières orales ont aussi des difficultés liées à l’apprentissage de la lecture(2). Le développement de l’expression écrite est considérablement retardé chez les élèves ayant des difficultés associées au langage oral(3). Ces faibles compétences langagières orales ont souvent pour résultat une réussite scolaire limitée dans toutes les matières du curriculum(4), et ces écarts de rendement se poursuivent au secondaire et au postsecondaire(5), et dans toutes les matières.
Saviez-vous que…
• Environ 50 % des lecteurs peu compétents en 2e année du primaire éprouvent aussi des difficultés sur le plan de la compréhension du langage oral(6) ?
• La probabilité qu’un élève qui éprouve de la difficulté en lecture en 1re année soit encore en échec en 4e année est de 88 %(7) ?
• La présence de troubles de la parole et du langage non résolus à 5 ans annonce des difficultés scolaires(8) et langagières(9), y compris des difficultés en écriture(10), en lecture(11), sur le plan de l’apprentissage(12), du comportement(13), ainsi que des comportements antisociaux(14) et une fragilité à plan de la santé mentale(15) et de la santé de manière générale(16) ?
Comme orthophoniste, j’ai toujours travaillé auprès des enfants d’âge scolaire. J’ai œuvré bon nombre d’années en milieu scolaire en Ontario, mon rôle étant surtout d’évaluer les élèves, de fournir des renseignements aux parents et aux enseignants, ainsi que d’appuyer le personnel du service de l’éducation de l’enfance en difficulté, ce qui correspond à l’adaptation scolaire au Québec.
Lorsque je me présentais dans les écoles, j’entendais très souvent : « Oui, j’ai vu tel élève, ce matin et j’ai fait 20 minutes d’orthophonie avec lui. »
« Faire 20 minutes d’orthophonie », qu’est-ce que ça indique au juste ? Je sais bien que l’on cherchait à m’informer que les objectifs d’orthophonie inscrits au plan d’enseignement individualisé (PEI en Ontario, plan d’intervention au Québec) avaient été ciblés. À ce commentaire, je répondais souvent : « L’orthophonie, ça se fait pendant toute la journée, et dans toutes les matières. » En fait, cette façon de concevoir les interventions en orthophonie, de « faire de l’orthophonie » est loin de permettre une interaction langagière orale authentique.
Mais si l’intégration des habiletés langagières orales dans des contextes d’interaction ludiques et authentiques se faisait toute la journée durant, à travers toutes les matières du curriculum, à quoi ça ressemblerait ?
L’analogie de la main(17) englobe bien les habiletés qui sous-tendent la réussite scolaire, et les rapports qu’ils entretiennent avec les interactions langagières authentiques. Tous les jours, les enfants utilisent leurs habiletés manuelles pour faire des gestes qui ont du sens (p. ex. saluer, applaudir, prendre, pointer). Ces habiletés manuelles sont indispensables à leur épanouissement social et à leur potentiel de découvrir leur environnement. Comme ces habiletés, les compétences langagières authentiques sont tout aussi importantes pour que les enfants maximisent leur potentiel de réussite scolaire. Les interactions avec les membres de la famille, les compagnons et l’environnement donnent lieu à des occasions de s’exprimer pour faire connaître leurs besoins et désirs, et de comprendre le monde qui les entoure. La salle de classe au niveau primaire se veut riche en interactions langagières authentiques – c’est l’endroit idéal pour développer les habiletés en conscience phonologique, épanouir le vocabulaire, découvrir les structures des mots, des phrases et des textes, et comprendre l’inférence. De solides habiletés langagières orales fondées sur un socle solide sont des plus prometteuses pour la réussite scolaire et l’avènement de l’apprentissage DE la lecture et de l’écriture d’abord, pour en aboutir à l’apprentissage PAR la lecture.
Une ressource pédagogique à la portée de la main
Une équipe d’orthophonistes avec l’appui de l’Association ontarienne des orthophonistes et des audiologistes (AOOA) a reconnu l’importance de rassembler, dans un document accessible, des renseignements portant sur les interactions langagières authentiques entre le personnel enseignant et les élèves qui favorisent la réussite scolaire de ces derniers.
La ressource pédagogique intitulée « Le langage oral à portée de la main » traite des liens entre le langage oral et la littératie. Elle s’appuie sur les pratiques fondées sur les faits scientifiques et intègre les principes de l’enseignement différencié.
Les données évoquées ont alimenté cette ressource pédagogique qui a pour objectif de démontrer l’importance de développer de solides compétences en langage oral afin de faciliter l’apprentissage de la lecture et de l’écriture et de favoriser ainsi la réussite scolaire. Cette ressource est destinée aux membres du personnel enseignant ainsi qu’aux orthophonistes travaillant en milieu scolaire, mais peut être utile pour des parents qui cherchent à bonifier les habiletés langagières de leurs enfants. Bien qu’elle cible l’enseignement offert aux élèves dès leur entrée à l’école (soit du jardin en Ontario, ou de la maternelle 5 ans au Québec) jusqu’à la troisième année, elle peut être très utile pour tous ceux qui travaillent auprès d’élèves plus âgés qui fonctionnent à ce niveau de développement. Plusieurs des stratégies dans les chapitres portant sur la structure des textes, ou sur la compréhension et l’inférence, peuvent s’appliquer à l’enseignement des élèves des niveaux scolaires plus élevés.
Cette ressource pédagogique présente un chapitre sur les interactions langagières en salle de classe et la conceptualisation des composantes langagières essentielles à la maîtrise du langage oral et écrit. Des chapitres sur la conscience phonologique, le vocabulaire, la structure des mots et des phrases, la structure des textes, la compréhension et les inférences, ainsi que sur les partenariats enseignants-orthophonistes traitent de la manière d’enseigner et d’apprendre ces habiletés langagières dans une perspective de collaboration interdisciplinaire.
À l’instar de chacun des chapitres, des vignettes permettent de mieux illustrer l’emploi des stratégies en salle de classe dans un contexte d’apprentissage ludique, faisant partie de la zone proximale de développement de l’élève. En voici un exemple qui s’y trouve :
Des stratégies pour cibler ces thèmes font partie intégrante de cette ressource, tout en tenant compte de la diversité linguistique et culturelle ainsi que des distinctions entre les différences langagières et les difficultés langagières orales. Ces stratégies sont accompagnées de suggestions pour simplifier ou rendre plus complexe les tâches (voir l’extrait de la page 140, Tableau 7.3) et permettent de créer des activités fondées sur les faits scientifiques pour tous les élèves, en fonction de leur niveau de réponse à l’intervention qui leur est offerte.
Des icônes guident le lecteur tout au long de cette ressource afin de lui permettre de repérer rapidement l’information cherchée.
La dualité linguistique au Canada
Cette ressource est disponible en français et en anglais. Étant donné la réalité scolaire des francophones en milieu minoritaire, des anglophones en milieu majoritaire, ou encore des apprenants de l’anglais langue seconde (p. ex. immigrants), de l’actualisation linguistique du français (p. ex. ALF en Ontario) ou des programmes d’appui aux nouveaux arrivants ayant pour langue maternelle le français, les deux documents sont distincts l’un de l’autre : les théories et les recherches qui se prêtent bien aux deux langues sont évoquées dans chacun des documents, mais une adaptation importante a été effectuée afin de mieux cibler les besoins langagiers des deux populations et des réalités distinctes dans lesquelles elles évoluent.
Vous pouvez commander ces ressources riches en information, données probantes et stratégies axées sur la réponse à l’intervention en remplissant le bon de commande et l’acheminant à [email protected]. Indiquez ‘Parlons apprentissage’ sur le bon de commande pour vous les procurer au tarif des membres de l’AOOA, soit de 25 $/exemplaire.
Pour commander « Le langage oral à portée de la main » ou « Oral Language at your Fingertips », cliquez sur les icônes ‘pdf’ respectives ici http://micheleminorcorriveau.com/livres/
Références
Antoniazzi, D., Snow, P., & Dickson-Swift, V. (2010). Teacher identification of children at risk for language impairment in the first year of school. International Journal of Speech-Language Pathology, 12(3), 244-252. 10.3109/17549500903104447.
Aram, D.M., & Nation, J.E. (1980). Preschool language disorders and subsequent language and academic difficulties. Journal of Communication Disorders, 13(2), 159-170.
Billard, C. (2001). Le dépistage des troubles du langage chez l’enfant. Une contribution à la
prévention de l’illettrisme. Archives de pédiatrie, 8(1), 86-96.
Bishop, D. V. M. et Adams, C. (1990). A prospective study of the relationship between specific language impairment, phonological disorder, and reading retardation. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 31, 1027-1050.
Callu, D., Jacquier-Roux, M., Giannopulu, I., & Dellatolas, G. (2003). Pertinence du repérage par les parents des retards de langage chez l’enfant entre quatre et six ans. Archives de pédiatrie, 10, 1061-1067.
Catts, H. W., Fey, M. E., Tomblin, J. B. et Zhang, X. (2002). A longitudinal investigation of reading outcomes in children with language impairments. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 45, 1142-1157.
Catts, H. W., Hogan, T. P., & Adlof, S. M. (2005). Developmental changes in reading and reading disabilities. In H. W. Catts & A. G. Kamhi (Eds.), The connections between language and reading disabilities (pp. 25–40). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum.
Fey, M., Catts, H., & Larrivee, L. (1995). Preparing preschoolers for the academic and social challenges of school. In M. Fey, J. Windsor, & S. Warren (Eds.), Language intervention: Preschool through the elementary years (pp. 3–37). Baltimore : Paul Brookes.
Gaines, B. R. (2002). Screening for childhood speech-language problems. The Canadian Nurse, 98(5), 15.
Gernter, B.L., Rice, M.L., & Hadley, P.A. (1994). Influence of communicative competence on peer preferences in a preschool classroom. Journal of Speech and Hearing Research, 37(4), 913-923.
Gillam, R. et Johnston, J. (1992). Spoken and written language relationships in language learning impaired and normally achieving school-age children. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 35, 1303-1315.
Guay, F., Boivin, M., & Hodges, E. (1999). Predicting change in academic achievement. A model of peer-experiences and self-esteem processes. Journal of Educational Research, 91(1), 105-115.
Johnson, C. J., Beitchman, J. H., Young, A., Escobar, M., Atkinson, L., Wilson, B., et al. (1999). Fourteen-year follow-up of children with and without speech/language impairments: Speech/language stability and outcomes. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 42, 744–760.
Juel, C., (1988). Learning to Read and Write: A longitudinal study of 54 children from first through fourth grades. Journal of Educational Psychology. 80(4), 437-447.
Knox, E. (2002). Educational attainments of children with specific language impairment at year 6. Child Language Teaching and Therapy, 18, 103–124.
Levett, L. & Muir, J. (1983). Which three year olds need speech therapy? Uses of the Levett-Muir language screening test. Health Visitor. 56(12), 454-456.
Loban, W. (1976). Language development: Kindergarten through grade twelve. National Council of Teachers of English (NCTE) Committee on Research Report No. 18 (ED 128 818).
Luinge, M. R., Post, W. J., Wit, H. P., & Goorhuis-Brouwer, S. M. (2006). The ordering of milestones in language development for children from 1 to 6 years of age. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 49(5), 923-940.
Mackie, C. et Dockrell, J. E. (2004). The nature of written language deficits in children with SLI. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 47, 1469–1483.
Morais, J., Pierre, R. et Kolinsky, R. (2003). Du lecteur compétent au lecteur débutant : implications des recherches en psycholinguistique cognitive et en neuropsychologie pour l’enseignement de la lecture. Revue des sciences de l’éducation, 29, 51–74.
Mustard, F., McCain, M. (1999). Early Years Study: Reversing the real brain drain. The Founder’s Network. Canadian Institute for Advanced Research. Récupéré le 29 mars 2017 à http://www.childcarecanada.org/documents/research-policy-practice/02/07/early-years-study-reversing-real-brain-drain.
Paul, R. (2013). Language disorders from infancy through adolescence: Assessment and intervention (4th ed.). St. Louis, MO : Mosby.
Pierre, R. (1992). La compréhension des textes écrits face au rehaussement des standards de littératie. Scientia paedagogica experimentalis, 29, 3–21.
Roy, B., Maeder, C., & Beley, G. (1992). Dépistage des troubles de la parole et du langage en cabinet pédiatrique. Le Pédiatre, 28(133), 63-65.
Agence de la santé publique du Canada (2017). Qu’est-ce qui détermine la santé ? Récupéré le 29 mars 2017 à http://www.phac-aspc.gc.ca/ph-sp/determinants/index-fra.php
Scarborough, H. S. (2002). Connecting early language and literacy to later reading (dis)abilities: Evidence, theory and practice. In S. B. Neuman et D. K. Dickinson (Eds.), Handbook of Early Literacy Research (pp. 97–125). New York: Guilford Press.
Scarborough, H.S., & Dobrich, W. (1990) Development of children with early language delay. Journal of Speech and Hearing Research, 33(1), p. 70-83.
Scott, C. et Windsor, J. (2000). General language performance measures in spoken and written discourse produced by school-age children with and without language learning disabilities. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 43, 324–339.
Stattin, H. & Klackenberg-Larsson, I. (1993). Early language and intelligence development and their relationship to future criminal behavior. Journal of Abnormal Psychology, 102(3), 369-378 http://dx.doi.org/10.1037/0021-843X.102.3.369
Stothard, S., Snowling, M., Bishop, D., Chipchase, C. et Kaplan, C. (1998). Language-impaired preschoolers: A follow-up into adolescence. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 41, 407–18.
Teberosky, A. (2002). La compréhension progressive du fonctionnement du système alphabétique : une perspective évolutive. Repères : recherches en didactique du français langue maternelle, 26–27, 49–59.
Vallance, D., Cummings, R. L., & Humphries, R. (1998). Mediators of the risk for problem behavior in children with learning disabilities. Journal of Learning Disabilities, 31(2), 160-171.
Westby, C. E. (2005). Assessing and remediating text comprehension problems. In H. W. Catts et A. G. Kamhi (Eds.), Language and Reading Disabilities (2nd ed.) (pp. 157–232). Boston, MA : Pearson Education.
Notes
(1) Billard, 2007; Callu, Jacquier-Roux, Ciannopulu, & Dellatolas, 2003
(2) Bishop & Adams, 1990 ; Catts, Fey, Zhang & Tomblin, 1999 ; Catts & Kamhi, 2005
(3) Gillam & Johnston, 1992 ; Mackie & Dockrell, 2004 ; Scott & Windsor, 2000 ; Teberosky, 2002
(4) Knox, 2002 ; Stothard, Snowling, Bishop, Chipchase & Kaplan, 1998
(5) Johnson, Beitchman, Young, Escobar, Atkinson, Willson et coll., 1999; Stothard et coll., 1998 ; Pierre, 1992
(6) Catts, Hogan, & Adlof, 2005
(7) Juel,1988
(8) Aram & Nation, 1980; Loban, 1976; Paul, 2013
(9) Aram & Nation, 1980
(10) Roy, Maeder, & Beley, 1992
(11) Roy et coll., 1992; Stattin & Klackenberg-Larsson, 1993
(12) McCain & Mustard, 1999; Roy et coll., 1992
(13) Gaines, 2002; McCain & Mustard, 2002; Vallance, Cummings, & Humphries, 1998
(14) Stattin & Klackenberg-Larsson, 1993
(15) Young, Beitchman, Johnson, Douglas, Atkinson, Escobar, et coll., 2002
(16) Luinge, Post, Wit, & Goorhuis-Brouwer, 2006; McCain & Mustard, 2002
(17) Blaxley, Kyte, Leggett, McWhirter, & Minor-Corriveau, 2014