Les dictées : on en fait ou on n’en fait pas ?

Posted on mercredi 3 février 2016 by Michèle Minor-Corriveau

Suis-je à suggérer que les dictées doivent être bannies des tâches associées à l’apprentissage des arts du langage? Pas forcément. Je suggère, toutefois, que l’on réfléchisse à la manière dont sont conçues les dictées, et qu’elles soient construites en reflétant une compétence qui a été enseignée de manière explicite en la salle de classe. Inutile de choisir 5 phrases aléatoires sur une base hebdomadaire, en utilisant quelques mots qui pourraient avoir été enseignés, et beaucoup d’autres encore qui n’ont pas enseigné correctement, comme une base pour les tests. Les dictées doivent contenir des mots et de la grammaire qui sont enseignées explicitement pendant les exercices de littératie.

Il pourrait peut-être vous étonner d’apprendre que les enfants ne doivent pas être mis au courant de leurs résultats sur une dictée. Je reformule… Je ne suis pas parti-prenante du mouvement qui veut que tous les enfants gagner un prix chaque fois qu’ils jouent un jeu, ou encore qu’il n’y a pas de perdants lors de concours sportifs, ou que tous les joueurs doivent recevoir des médailles médailles aux jeux de soccer, sans s’être rendus à la finale. Je crois qu’il nous revient de les préparer à la vie, en apprenant des leçons que nous avons tous apprises en tant qu’enfants. Ils ne seront pas toujours les premiers choisis, mais ils doivent se reprendre et tenter leur chance à nouveau. C’est ça la résilience, mais le thème dépasse les limites de ce billet.

Lorsqu’il s’agit du langage écrit, cependant, les enfants devraient être au courant de la compétence qu’on leur a enseigné, ainsi que celles qu’ils ont encore à maîtriser. Aussi devraient-ils avoir en main les outils nécessaires pour les aider à maîtriser cette compétence. Ils doivent connaître leur but : c’est-à-dire la compétence à laquelle ils travaillent. Inutile pour eux de savoir que leur compagnon de classe a réussi à merveille alors qu’eux ils ont raté la dictée. Il est également inutile pour eux de savoir qu’ils ont obtenu 7 sur 20, à moins que votre but soit d’avoir écrasé leur motivation et leur soif d’apprendre. Si la dictée est bien construite, avec un objectif précis en vue, il devrait être facile pour nous, intervenants (enseignants, orthophonistes, parents) de reconnaître ce qui n’a pas été appris, et comment nous pouvons cibler cette compétence. Voilà comment améliorer la compétence en s’assurant de ne pas réduire la motivation. C’est ça la clé. Une fois la motivation perdue, je vous souhaite bonne chance à rapatrier les élèves qui ne veulent rien savoir des méthodes qui ne servent qu’à les décourager.

Il faut à tout prix promouvoir l’apprentissage sans erreur (p. ex. dictées ‘0’ faute). L’idée ne date pas d’hier. Je me souviens très bien d’avoir été encouragée par ma grand-mère, directrice d’école élémentaire pendant 35 ans, de chercher dans le dictionnaire chaque fois que je me doutais d’un mot. Son raisonnement était simple: si je prends la peine de faire la recherche, j’aurai maximisé mes chances de me souvenir de la bonne graphie à l’avenir. Bien que cette règle puisse ne pas toujours s’appliquer – il y a des mots qui ne semblent pas coller, et Dieu merci pour les correcteurs – l’idée de faire un peu de recherche est intimement liée à l’idée de l’apprentissage sans erreur (même si elle peut ne pas avoir été désignée comme telle comme à l’époque).

L’apprentissage sans erreur doit être promu, au lieu de promouvoir la difficulté, qui est ce qu’on fait lorsqu’on demande à l’élève d’écrire trois fois le mot en erreur. Il mémorise son erreur, et non le mot sans erreur. Il serait beaucoup plus efficace pour cet élève d’être confronté au mot cible sans voir son erreur (voir mon billet précédent ici).

Les enfants qui deviennent de bons orthographieurs ne le sont pas parce qu’ils ont écrit beaucoup de dictées. À l’inverse, les enfants chez qui les difficultés d’orthographe sont nombreuses ne le sont pas parce qu’ils n’ont pas eu suffisamment de dictées. C’est davantage ce qui est enseigné entre les dictées bien construites qui fait que l’orthographe des élèves s’améliore.

Les enfants à qui on permet de trouver des mots sur les murs de mots, dans les dictionnaires (électronique ou format papier), les enfants à qui on donne accès aux correcteurs et aux prédicteurs de mots sont beaucoup moins susceptibles de faire des erreurs, que ceux qui sont censés avoir mémorisé tous les mots dans toutes les langues qu’ils parlent. Sans parler de ceux qui sont aux prises avec des difficultés d’attention ou de mémoire, chez qui les risques d’erreurs sont d’autant plus grands.

En tant qu’adultes, lorsque les mots que nous écrivons ne sont pas écrits correctement, quel est notre moyen d’y remédier ? N’avons-nous pas recours à la technologie, en rédigeant un CV ou une lettre (de demande d’emploi, de motivation, ou aux parents de nos élèves) ? Si nous ne nous en servons pas, nous devrions nous y adonner sans hésitation aucune.

Pourquoi nos attentes sont d’autant plus élevées pour les enfants qui sont encore dans le processus d’apprentissage, que pour nous, qui sommes censés avoir maîtrisé tous les mots dans toutes les langues que nous écrivons? En ce sens, nous, les adultes, avons bien sûr, un avantage injuste sur eux. Les enfants apprendront les compétences orthographiques à un rythme différent les uns des autres et la responsabilité qu’ont les enseignants à tenter de trouver un juste équilibre entre l’enseignement pour l’élève du niveau 4, et l’élève du niveau 1 n’est pas des moindres. Mais c’est ça, l’enseignement différencié, et nos enseignantes et enseignants merveilleuses et merveilleux sont bien équipés pour y arriver.

Donc pour répondre à la question d’origine: Devrions-nous continuer à donner des dictées ? La réponse est assez simple. Continuez à les donner si vous le devez, mais ne leur conférez pas de fausses prétentions. Les dictées ne consistent pas en un tremplin nécessaire à la maîtrise de la langue écrite. Toutefois, si vous choisissez de vous en servir, prenez soin de les construire à bon escient, et de laisser les erreurs des élèves, lorsqu’elles se produisent, vous pousser à enseigner les compétences qui ne sont toujours pas maîtrisées. Et entre les dictées, de grâce, encouragez l’apprentissage sans erreur, en valorisant ce dont l’élève fait preuve de maîtrise et en enseignant ce qui est encore à apprendre ou à réapprendre.

Le prochain billet présentera des idées pour concevoir des dictées sans erreur. Restez à l’écoute!